The Sandbox, l’un des visages les plus visibles du métaverse blockchain, entre dans une phase critique. Autrefois célébré comme l’un des fleurons du gaming Web3, le projet connaît en 2025 une restructuration qui redessine radicalement son avenir.
Après des années d’ambition et une valorisation proche de 4 milliards de dollars au plus haut, la plateforme subit aujourd’hui un retournement brutal. Plus de la moitié des effectifs ont été licenciés, les co-fondateurs ont perdu leur mainmise opérationnelle, et l’entreprise opère un pivot stratégique majeur.
Il ne s’agit plus d’une simple correction : c’est une recomposition qui interroge la viabilité du modèle métavers porté depuis 2021.
Un séisme organisationnel

La mesure la plus visible de la crise est humaine. La direction a procédé à des coupes importantes dans les équipes, impactant plus de la moitié des 250 salariés. En parallèle, The Sandbox ferme plusieurs bureaux à l’international et réduit fortement sa présence opérationnelle.
Ce recentrage traduit une volonté de concentrer les ressources sur des activités jugées prioritaires et de limiter les coûts fixes. Toutefois, au-delà de l’économique, ces décisions provoquent une fragmentation de l’accompagnement aux créateurs et aux studios partenaires. Ces derniers dépendent fortement du support technique et commercial de la plateforme.
La réorganisation a été accompagnée d’un basculement du pouvoir. Arthur Madrid et Sébastien Borget, les co-fondateurs qui incarnent l’histoire et la vision de The Sandbox, ont été repositionnés vers des rôles honorifiques. Privés de responsabilités opérationnelles quotidiennes, ils restent symboliquement liés au projet mais n’en pilotent plus la stratégie d’exécution.
La logique d’industrialisation imposée par Animoca
Ce déplacement du centre de décision s’est traduit par l’arrivée de Robby Yung, CEO d’Animoca Brands, à la tête de l’entité. Il s’agit d’un signe d’une intégration plus directe au groupe et d’un impératif clair : rentabiliser au plus vite. Cette logique privilégie l’accélération des revenus et l’optimisation opérationnelle. Elle s’oppose, en partie, à l’approche initiale de The Sandbox qui avait misé sur une croissance communautaire et créative.

Le choix d’industrialiser certains processus, y compris via des automatisations et des outils d’IA, vise à compenser la baisse de ressources humaines. Mais il pose aussi la question de l’impact sur la qualité créative et l’écosystème d’éditeurs indépendants.
L’effondrement d’un modèle économique
Sur le plan financier, la chute a été spectaculaire. La valorisation qui flirtait avec les milliards quelques années plus tôt a fortement corrigé, tout comme le cours du SAND. Le token a perdu 95 % de sa valeur, sa capitalisation passant de 8 milliards à 700 millions de dollars…
Les investisseurs et détenteurs ont vu une grande partie de leur valeur s’éroder. De plus, la sécheresse de l’activité utilisateur a rendu difficile la relance par la simple promotion. Plus préoccupant, les indicateurs d’usage (nombre d’utilisateurs actifs, temps passé et transactions économiques internes) restent faibles.
Cela montre que la spéculation initiale n’a pas suffi à construire une économie réelle et durable autour des mondes virtuels.

Les millions d’inscriptions revendiqués par The Sandbox ne se traduisent pas systématiquement en engagement quotidien. Dans la pratique, le nombre d’utilisateurs réellement actifs est très inférieur aux attentes, et une part non négligeable de l’activité observée provient d’automatisations ou d’acteurs secondaires.
Cette faible rétention souligne un problème plus profond : l’expérience utilisateur n’a pas atteint la maturité nécessaire pour fidéliser au-delà de la curiosité initiale. Et rares sont aujourd’hui les cas d’usage qui génèrent des interactions soutenues et une économie interne robuste.
Du métaverse aux memecoins
Face à ces difficultés, la direction a choisi un virage stratégique radical. Plutôt que de consolider coûteusement une plateforme virtuelle aux résultats incertains, l’entreprise se tourne vers des activités à court terme potentiellement plus lucratives. Notamment avec le lancement de memecoins via une plateforme dédiée, dans la même vision que pump.fun.
Ce choix s’explique par la rentabilité rapide et la forte demande spéculative sur certains segments crypto. Mais il soulève un dilemme : substituer l’ambition long terme et communautaire par des modèles spéculatifs risque d’aliéner la base créatrice et les partenaires institutionnels qui avaient investi sur la crédibilité du projet.
Parallèlement, The Sandbox s’appuie sur l’intelligence artificielle pour accélérer la production de contenus et réduire les coûts de développement.
L’automatisation vise à déployer des assets et des expériences plus rapidement avec des équipes réduites. En théorie, cela augmente l’agilité. En pratique, l’efficacité technique n’équivaut pas toujours à la créativité humaine et la qualité perçue par les utilisateurs peut en pâtir.
Le recours massif à l’IA interroge donc le positionnement du produit : s’agit-il d’un monde créatif fait par et pour des humains, ou d’un catalogue automatisé destiné à générer du trafic ?
Conséquences pour les détenteurs de LAND et les créateurs

La recomposition stratégique crée une forte incertitude pour les détenteurs de LAND, les créateurs et les studios. Ces acteurs se demandent quelle utilité future auront leurs terrains et leurs œuvres dans un univers qui s’éloigne de l’expérience immersive promise.
Si la société affirme que les droits numériques et les actifs restent maintenus, la valeur économique et l’usage effectif de ces actifs dépendent désormais d’une feuille de route qui n’est plus la même. Beaucoup d’acteurs craignent une dévalorisation structurelle des investissements immatériels réalisés ces dernières années.
Partenariats et marques
Les grandes collaborations signées par The Sandbox avec des marques internationales constituent à la fois un actif et une contrainte.
Dans le nouveau contexte, ces partenariats doivent être réévalués. Certaines marques rechercheront un alignement à long terme avec une vision immersive. Tandis que d’autres accepteront des opérations plus marketing et ponctuelles. Ce rééquilibrage risque de réduire la profondeur des activations brandées, au profit d’opérations courtes et rentables.
Le miroir de la concurrence : le secteur entier sous pression
La dérive de The Sandbox reflète un phénomène plus large. Plusieurs projets métaverse peinent à accumuler des utilisateurs engagés et à créer des modèles économiques durables. À l’exemple de Decentraland et de son token MANA.
Les références Web2, comme Roblox ou Minecraft, restent dominantes sur le plan d’usage parce qu’elles ont su offrir une expérience fluide et des économies internes véritablement utilisables. Le contraste souligne que la technologie blockchain, seule, n’assure ni l’audience ni l’expérience.
Pour se redresser, The Sandbox mise sur plusieurs axes. Le lancement d’une version mobile vise à capter des usages mainstream, là où la masse des joueurs se trouve déjà.
Parallèlement, la Sandbox DAO conserve un rôle central. Avec un budget significatif en SAND, la gouvernance communautaire peut valider ou infléchir certaines orientations, offrir des subventions ou prioriser des initiatives productrices de valeur réelle. Ces leviers constituent autant d’opportunités que de risques, car ils supposent une coordination fine entre investisseurs, développeurs et communauté.
En bref
La crise traversée par The Sandbox est un cas d’école pour le Web3 : elle illustre la confrontation entre une vision expansive et les contraintes économiques réelles.
La restructuration et le pivot vers des activités à rendement rapide peuvent stabiliser les finances, mais ils risquent aussi d’éroder l’ADN créatif qui faisait la force du projet. La suite dépendra de l’équilibre que saura trouver la nouvelle direction entre monétisation immédiate et restauration d’une proposition de valeur pérenne pour les utilisateurs.
Le destin de The Sandbox sera scruté comme un indicateur pour l’ensemble des initiatives métaverse : réussite ou échec, son évolution dira beaucoup sur la maturité de l’écosystème Web3.