Peut-on vraiment faire confiance aux smart contracts pour faire respecter la loi ? Cette question cristallise aujourd’hui un enjeu majeur pour l’avenir du Web3.
Alors que la blockchain promet des interactions sans intermédiaire et automatisées, le droit, lui, repose sur des interprétations humaines, des jurisprudences et des nuances.
Des contrats programmables mais pas toujours compréhensibles

Les smart contracts sont des lignes de code déployées sur une blockchain qui exécutent automatiquement des actions lorsqu’un ensemble de conditions est rempli.
Cette automatisation est censée réduire les coûts et les litiges. Pourtant, elle soulève un premier problème fondamental : leur langage est compréhensible pour des machines et des développeurs, mais rarement pour des juristes ou des utilisateurs lambda.
Lorsqu’un différend survient, il devient difficile d’interpréter l’intention initiale à partir du code seul. Or, dans le droit traditionnel, l’intention des parties joue un rôle fondamental.
Une sécurité juridique encore floue

Sur le plan juridique, les smart contracts ne sont pas reconnus partout comme des contrats à part entière. En Europe, certaines juridictions commencent à intégrer ces nouveaux formats, mais aucun cadre uniforme n’existe à l’échelle mondiale.
Par conséquent, lorsqu’un contrat automatique est exécuté de manière abusive, ou en cas de bug, vers qui se tourner ? Les plateformes ? Les développeurs ? Les utilisateurs ?
Ce flou juridique peut freiner l’adoption des smart contracts, notamment dans les secteurs régulés comme la finance, l’assurance ou l’immobilier.
L’incompatibilité des temporalités
Le droit évolue lentement. Il repose sur des précédents, des débats parlementaires, des interprétations. À l’inverse, la technologie blockchain avance à un rythme effréné, itérant rapidement, testant des modèles et les remplaçant si besoin.
Cette différence de temporalité crée une tension entre innovation et régulation. Trop souvent, la législation tente de courir après les innovations sans les comprendre pleinement, tandis que les innovateurs s’affranchissent volontairement des règles existantes, quitte à générer de nouveaux risques.
Quelle solution ? Vers une hybridation du droit et du code

Plutôt que de choisir entre smart contracts et juridictions traditionnelles, une voie médiane semble émerger : celle de l’hybridation.
Plusieurs initiatives cherchent à rendre les contrats auto-exécutables plus compatibles avec les exigences du droit. Cela passe par l’intégration de clauses juridiques explicites dans le code, la création d’oracles judiciaires (sources de données juridiques automatisées) ou encore la mise en place de mécanismes de résolution des litiges directement intégrés à la logique des contrats.
Des plateformes comme Kleros expérimentent déjà ce type de modèle, en combinant arbitrage communautaire et blockchain pour résoudre des conflits liés à des smart contracts. D’autres, comme OpenLaw, proposent des contrats à double lecture : en code pour la machine, en texte pour l’humain.
Conclusion : Le code est la loi ? Pas encore.
L’expression « code is law », popularisée par Lawrence Lessig, symbolise une vision dans laquelle les règles sont directement intégrées dans les technologies que nous utilisons. Si cette idée séduit dans le Web3, la réalité est plus complexe. Le droit reste une construction sociale, humaine, fondée sur le dialogue, le contexte et la nuance.
Pour que les smart contracts deviennent de véritables instruments juridiques de confiance, il faudra repenser leur conception, les intégrer dans des écosystèmes hybrides, et surtout, les inscrire dans un cadre légal adapté.
Ce n’est pas seulement une question de technologie, mais de société. Le futur du droit ne se joue pas uniquement sur le code, mais il ne pourra pas non plus s’en passer.