Une mutation longue à venir, mais désormais enclenchée
Pendant des décennies, les États ont principalement recours à des marchés financiers traditionnels pour émettre des obligations d’État, avec des processus de souscription, de négociation et de compensation reposant sur des intermédiaires centralisés.
Aujourd’hui, la tokenisation permet de transformer ces obligations physiques en actifs numériques enregistrés sur une blockchain. Ce changement représente une révolution dans la manière dont les États financent leurs activités. En combinant flexibilité, transparence et réduction des coûts de transaction.
Des initiatives réelles qui servent de prélude

En Europe, le Luxembourg est devenu en juin 2025 l’un des premiers pays à émettre des bons du Trésor entièrement tokenisés sur une plateforme DLT. La transaction portait sur 50 millions d’euros et se fondait sur la loi luxembourgeoise relative aux instruments financiers numérique.
Lorsqu’on se tourne vers l’Asie, on constate que la Thaïlande a annoncé un programme pilote. Dans le but d’émettre des obligations publiques tokenisées à destination directe du grand public : pour 5 milliards de baht. La distribution doit s’opérer via une plateforme numérique entre 2025 et 2026.
À l’échelle mondiale, la Banque mondiale innove depuis 2018 avec bond‑i, une obligation entièrement gérée sur blockchain. Suivie de nouvelles émissions en euros et en francs suisses en 2024 qui utilisaient de la monnaie de banque centrale tokenisée pour le règlement. Le projet Green Bond de la Banque européenne d’investissement illustre une autre facette de cette transition. En 2023, elle a lancé un euro‑obligation verte de 1 milliard de SEK émise et réglée grâce à la plateforme blockchain « so|bond ».
En parallèle, la Banque de France a conduit avec Euroclear un test de CBDC pour régler des obligations de l’État français. Démontrant, ainsi, que l’infrastructure technique est prête, même si l’aspect légal demande encore des clarifications.
Pourquoi les États explorent cette voie
La tokenisation de la dette publique offre aux gouvernements plusieurs avantages percutants.
Premièrement, elle permet une transmission quasi instantanée de la détention et des transferts de propriété. Permettant le raccourcissement drastique du délai entre émission et règlement. Deuxièmement, elle accroît la transparence fiscale, car chaque token est traçable sur la blockchain. Rendant, alors, possible un audit public sans compromettre la confidentialité individuelle. Troisièmement, elle pourrait diminuer les coûts liés aux intermédiaires financiers. En particulier pour les émissions de petite taille ou fractionnées, ce qui ouvre la porte à une participation citoyenne plus large.
Selon un rapport du Forum Économique mondial, cette tokenisation pourrait devenir un pilier des marchés financiers dès la fin de la décennie.
Des obstacles politiques, réglementaires, techniques

Cependant, cette transformation n’est pas sans défis. Le cadre réglementaire doit être adapté pour reconnaître les tokens comme des instruments financiers valides. Ce que révèle la complexité de la mise en œuvre du « Pilot Regime » européen pour les infrastructures de marché basées sur DLT. La France et l’Italie ont récemment proposé de l’assouplir pour permettre des expérimentations à plus grande échelle.
De même, la question de l’intégrité du système reste centrale. Comment garantir que les nœuds opérant le réseau ne soient pas capturés par des acteurs malveillants ? Enfin, l’absence d’une norme universelle d’identité numérique et la diversité des pratiques entre pays compliquent l’harmonisation de l’émission et du règlement sur plusieurs territoires.
Vers une ère nouvelle pour les obligations souveraines
L’émission tokenisée de dette publique ne devrait pas être perçue comme une rupture radicale mais plutôt comme une évolution progressive. Dans quelques années, il pourrait être habituel que les obligations d’État soient intégrées directement aux portefeuilles numériques des investisseurs, du particulier jusqu’aux fonds les plus institutionnels. Cette transition permettra des modèles innovants tels que des remboursements automatiques via smart contract, des obligations à maturité fractionnée, ou des coupons indexés à des indicateurs environnementaux ou de croissance. C’est une vision fondatrice pour repenser le rôle des États dans une économie mondiale de plus en plus digitalisée.
Un virage à suivre de près
La tokenisation de la dette publique sera progressivement adoptée à l’échelle mondiale, mais toujours dans un cadre prudent et réglementé. Les premiers états pionniers comme le Luxembourg ou la Thaïlande, ainsi que des institutions comme la Banque mondiale ou l’EIB, dessinent déjà un futur dans lequel les obligations souveraines font aussi partie de l’économie digitale.
Dans ce contexte, il s’agit pour nous et vous de comprendre ces changements pour anticiper la fin du bond traditionnel et le début des obligations tokenisées.
Sources :
- Ledger Insights – Green bond de l’EIB émis via blockchain so|bond (juin 2023)
- A&O Shearman – Luxembourg émet des bons du Trésor tokenisés sur DLT
- Ledger Insights – La Thaïlande pilote l’émission de bonds gouvernementaux tokenisés
- Euroclear – Expérimentation de CBDC par la Banque de France pour régler des obligations d’État (2021)
- Weforum – Rapport WEF sur la tokenisation des actifs financiers (2025)
- AMF France – Régime Pilote